Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 septembre 2021 2 07 /09 /septembre /2021 03:28
les pêcheurs ceuilleurs de Santiago de Iguape, survivront-ils? photo guy capdeville

les pêcheurs ceuilleurs de Santiago de Iguape, survivront-ils? photo guy capdeville

"Au Brésil aujourd’hui, le président Jair Bolsonaro est sous le coup d’une commission d’enquête, accusé de charlatanisme pour avoir promu des traitements inutiles (mais le qualificatif «o charlatão» est réservé par la presse à un immense scientifique français dont la réputation internationale n’est plus à faire). Il est aussi accusé d’avoir retardé la campagne vaccinale, et de corruption.

 

Jaqueline Ferreira, 58 ans, professeure à l’Institut d’études en santé collective de l’université de Rio de Janeiro, retrace la trajectoire du coronavirus dans son pays :

 

«2020 a commencé comme toutes les autres au Brésil. Après le carnaval en février, nous nous préparions à la fin des vacances d’été et à la rentrée en mars. Et la nouvelle du premier décès dû à une infection au coronavirus à Rio de Janeiro est tombée. Si sur la scène internationale, la reconnaissance officielle de la maladie a été quasi immédiate, ici au Brésil, les autorités ont fait preuve de déni dès le début. Le gouvernement fédéral n’a adopté aucune mesure pour contenir le virus, le Président lui-même a adopté des postures contraires aux recommandations internationales, provoquant des rassemblements, allant à la rencontre des gens, leur serrant la main, ne portant pas de masque. “C’est juste une petite grippe”, disait à cette époque Jair Bolsonaro afin de minimiser la maladie. Lorsque des journalistes l’interrogeaient plus tard sur la progression de la pandémie, il répondit : “Et alors ?” Lorsqu’on le questionna ensuite sur l’augmentation de la mortalité il rétorqua “Je ne suis pas fossoyeur”. Les autorités fédérales ont tenté de dissimuler des données officielles en menaçant la presse, surnommant par exemple, TV Globo, la plus grande entreprise de télécommunications du pays qui avait pourtant contribué à l’élection de Bolsonaro, “TV Funerária“. Tout ceci a instillé dans la population le doute envers les recommandations des médecins et des organismes comme l’Organisation mondiale de la santé.

 

«Chaos sanitaire et funéraire»

 

«Les patients ont tout de même été accueillis par le service public, le Système de santé unifié (SUS), seul système de santé universel d’Amérique du Sud. Jair Bolsonaro n’a pas soutenu le SUS, et a même fortement critiqué certaines de ses initiatives, comme les hôpitaux de campagne improvisés dans des lieux publics pour traiter exclusivement les patients atteints de Covid. Il a exhorté ses partisans à les envahir pour montrer

qu’“il n’y a pas tant de malades que ça”. Et ils l’ont fait. Et ils ont perpétré des actes de violence envers les professionnels de santé. Les fake news ont circulé plus vite que le virus lui-même et les morts n’ont cessé de s’empiler, les hôpitaux étant vite surpeuplés. Les lits ont manqué dans les centres de soins intensifs en pénurie d’oxygène, les morts ont été enterrés dans des fosses communes. Ce fut le chaos sanitaire et funéraire.

 

«Le Brésil a été le protagoniste, avec les Etats-Unis, d’un autre épisode lamentable : la promotion de l’utilisation de la chloroquine. En mars 2020, Donald Trump avait mentionné la chloroquine comme médicament pour la guérison et la prévention du Covid-19 en demandant à la Food and Drug Administration (FDA) de l’autoriser pour cet usage. Quelques heures plus tard, Bolsonaro publiait une vidéo défendant la chloroquine. Le surlendemain, le ministre de la Santé de l’époque, le médecin Luiz Henrique Mandetta, permettait aux médecins de prescrire de la chloroquine même pour les symptômes légers. Peu après, il est revenu sur sa décision et a été congédié. Le président du Conseil fédéral de médecine, la plus haute instance représentante du milieu médical du pays, Mauro Ribeiro, approuva l’utilisation de la chloroquine, y compris pour les symptômes légers, s’alignant ainsi sur le gouvernement Bolsonaro. A l’opposé, le médecin infectiologue à la Fondation Oswaldo Cruz, Marcos Lacerda, a mis en place une équipe de recherche en Amazonie qui a démonté l’hypothèse de l’efficacité de la chloroquine pour le traitement du Covid-19. Le médecin et chercheur a été durement attaqué par Bolsonaro et ses partisans jusqu’à nécessiter encore aujourd’hui une escorte policière pour sa famille et pour lui. Cette séquence d’événements montre que les intérêts qui se cachent derrière ces choix ne sont aucunement liés à une quelconque preuve scientifique, mais bien à des questions politiques, économiques et idéologiques. Au Brésil, la chloroquine a été produite principalement par les laboratoires de l’armée brésilienne et par des hommes d’affaires bolsonaristes qui ont vu leurs profits augmenter de façon vertigineuse. Il s’en est suivi une ruée frénétique vers les pharmacies à la recherche du médicament.

 

«Ainsi, l’émergence du Covid-19 a montré comment les inégalités structurelles du pays dans lequel les populations pauvres, noires et indigènes – beaucoup plus touchées par la maladie et par les décès que les classes moyennes et supérieures, blanches – sont considérées comme des “corps tuables”. Un pays où l’Etat s’arroge le droit de laisser vivre les uns au détriment des autres, ou plutôt de les faire mourir lentement, à la lumière de ce que le théoricien camerounais Achille Mbembe appelle la “nécropolitique”.

 

«En décembre, le Royaume-Uni a commencé les premières vaccinations contre le Covid-19 dans le monde. Les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne ont rapidement suivi. Et au Brésil, pendant ce temps ? Bolsonaro a ignoré 81 mails de la société Pfizer tout en se déclarant opposé à la vaccination obligatoire et en affirmant qu’il ne serait pas responsable des effets secondaires des vaccins : “Si vous vous transformez en crocodile, c’est votre problème.” Il a également déclaré que lui-même ne se ferait pas vacciner, puisqu’il avait déjà contracté le virus. La vaccination a malgré tout démarré en janvier, mais très lentement et sans vaccin ARNm, vaccin le plus efficace face au variant découvert à Manaus.

 

«Les événements survenus dans l’Etat d’Amazonas dans lequel les patients hospitalisés pour Covid sont morts en raison de l’omission de l’achat d’oxygène par le gouvernement fédéral, l’achat massif et la promotion de la chloroquine, dont l’inefficacité était prouvée, et la démission de deux ministres de la Santé, ont amené le Sénat à créer une Commission d’enquête parlementaire (CPI) le 24 avril pour se pencher sur la responsabilité du gouvernement fédéral dans cette tragédie. Après de longues auditions autour de la question de la chloroquine et de la pénurie d’oxygène, la commission d’enquête se concentre aujourd’hui principalement sur les irrégularités dans l’achat de Covaxin, vaccin indien, peu efficace et surfacturé, révélant un important système de corruption impliquant directement le président de la République. La CPI s’accompagne d’immenses mouvements de protestations dans les rues où les pancartes contre les traitements précoces se mêlent aux pancartes en faveur de la vaccination, et à des témoignages personnels de proches de patients morts parce que le vaccin n’a pas été déployé assez tôt.

 

«Aujourd’hui, à la fin du mois d’août, le Brésil atteint 577 000 décès, ce qui le place en deuxième position mondiale derrière les Etats-Unis. Selon les spécialistes, 400 000 d’entre eux aurait pu être évités grâce à des mesures sanitaires efficaces et des vaccinations en temps voulu. Des familles entières ont succombé et l’on voit déjà les “orphelins du Covid-19” que sont les milliers d’enfants qui ont perdu leurs parents à cause de la maladie. Les familles des victimes du Covid ont déposé une plainte auprès du bureau du procureur général contre Jair Bolsonaro.

 

Système de santé publique affaibli par les politiques néolibérales

 

«En ce mois d’août, seuls 26 % de la population brésilienne a été entièrement vaccinée et l’on peut déjà observer une réduction des décès et des hospitalisations. Les écoles et certaines universités rouvrent enfin leurs portes. Les professionnels de santé continuent de lutter face à un système de santé publique de plus en plus affaibli par les politiques néolibérales. Le “Que meure qui doit mourir” pour le bien de l’économie illustre la tragédie brésilienne et le mépris affiché pour la vie de la part des dirigeants du pays. La valeur de nombreuses vies n’a pas été prise en compte. Et ces insécurités sanitaires et économiques s’additionnent dans un contexte où les attaques contre la démocratie se manifestent de plus en plus ouvertement.»

 

Luiz Eduardo Soares est un écrivain célèbre, spécialiste des questions de sécurité publique, et un temps ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement Lula. Professeur de science politique à l’université fédérale de Rio de Janeiro, il vient de publier un livre sur le fascisme brésilien. En mars, il m’avait écrit ceci :

 

«Mon ami, tu ne vas pas le croire. Hier, à São Leopoldo, dans l’Etat du Rio Grande do Sul, les bolsonaristes, habillés en or et vert, aux couleurs de l’équipe de football, ont fait un salut solennel à une boîte géante de chloroquine, au son de l’hymne national. Au début, je n’y ai pas cru. Puis j’ai pensé que c’était une parodie, une performance chorégraphique comique de ceux qu’on appelle les Bolsominions. Enfin, j’ai conclu que le fascisme a ses spécificités : il transforme la déconstruction critique en une exhortation à la foi négationniste. En d’autres termes, il réduit les valeurs traditionnelles à leur version la plus primitive et la plus grossière, annihilant tout vestige de richesse et de dignité historiques, pour les servir, empoisonnées par une stérilité infectieuse, dans le banquet éhonté qui célèbre la misère intellectuelle et morale.

 

«Le fascisme brésilien porte au public sa propre déconstruction, pour qu’aucune pierre ne reste sur la pierre, pour qu’il n’y ait aucun doute sur le fait que la relation avec la parole du leader n’est pas soumise à des critères de vraisemblance, de rationalité, de civilité et de modestie. La servitude est mise à nu, de manière pornographique. Le fascisme n’a pas besoin de critique pour se dénuder. Il se révèle, n’a pas de profondeur, s’épuise dans la surface épidermique, il avoue sa propre ignominie.»

Partager cet article
Repost1

commentaires

Présentation

  • : photojournalisme
  • : photographe de presse fut mon premier métier ; avec l'argentique les photos n'étaient pas retouchées. Elles étaient imprimées en noir et blanc comme à la prise de vue, c'était de vrais documents. Aujourd'hui avec le numérique toutes les photos sont retouchées
  • Contact

Recherche