LES ANDES
Les premiéres heures dans ces hautes montagnes nous ont fait connaître le mal être du à l'altitude, au manque d’oxygène, le "soroche". Le camionneur nous a donné quelques feuilles de coca pour les mâcher et nous avons pu marcher, sans tituber, sur ce "toit du monde", le territoire des Incas, Quetchas et Aymaras. On était de nouveau bien, debout, léger bien qu'un peu essoufflé. Et le spectacle grandiose, un condor nous a survolé, quelle augure!
Comme l'a bien écrit L'Ècho du Sud "Les Quechua, souvent méconnus et pourtant si essentiels à l'histoire des Andes, sont les héritiers directs de la riche culture inca. Pourtant, leur histoire ne commence pas avec l'Empire inca, ni ne s'arrête à sa chute. Les Quechua sont bien plus qu'un simple vestige du passé incaïque; ils constituent une mosaïque vivante de traditions, de langues et de modes de vie qui se sont adaptés et ont prospéré à travers les siècles, malgré les bouleversements historiques.
Avant l'ascension de l'Empire inca, les ancêtres des Quechua peuplaient déjà les Andes, développant des sociétés agricoles robustes. Leur maîtrise de l'agriculture en terrasses et des systèmes d'irrigation témoignait d'une adaptation ingénieuse à un environnement montagneux rigoureux. Ils cultivaient principalement la pomme de terre, le maïs et le quinoa, des cultures encore centrales dans leur alimentation aujourd'hui. L'agriculture était le cœur battant de leur mode de vie, soutenue par des cycles de plantation et de récolte profondément ancrés dans les cycles naturels et les pratiques rituelles.
Les Quechua se distinguent par leur langue, le quechua, une langue encore vivante parlée par des millions de personnes à travers les Andes. Le quechua n'était pas seulement une langue véhiculaire de l'Empire inca, mais il est devenu, au fil des siècles, un lien culturel entre les différentes communautés andines. Les expressions, les chansons et les contes oraux en quechua continuent de transmettre des savoirs ancestraux et des valeurs communautaires. Cette langue a survécu malgré les efforts de colonisation pour l'éradiquer, et elle est aujourd'hui reconnue comme l'une des langues officielles au Pérou et en Bolivie, un témoignage de sa résilience et de son importance culturelle.
La spiritualité et les croyances des Quechua sont profondément enracinées dans leur relation avec la terre et les éléments naturels. La Pachamama, ou Terre-Mère, occupe une place centrale dans leur cosmologie. Elle est vénérée et célébrée lors de nombreuses fêtes et rituels, où des offrandes de feuilles de coca, de maïs et de chicha (une boisson fermentée traditionnelle) sont faites pour assurer des récoltes abondantes et la protection des communautés. Les montagnes, ou apus, sont également considérées comme des esprits protecteurs, et des cérémonies sont souvent tenues pour leur rendre hommage et solliciter leur aide.
Les traditions artisanales quechua sont une autre facette essentielle de leur culture. Les textiles quechua, connus pour leurs motifs complexes et leurs couleurs vives, sont plus que de simples objets utilitaires; ils racontent des histoires, symbolisent des croyances et marquent les cycles de la vie. Les techniques de tissage, transmises de génération en génération, nécessitent une habileté remarquable et un œil artistique aiguisé. Chaque motif et chaque couleur a une signification particulière, souvent liée à la nature, aux animaux ou aux mythes anciens.
Les Quechua ont également une riche tradition musicale et de danse, intégrée à leurs cérémonies religieuses et leurs fêtes communautaires. La musique, jouée sur des instruments traditionnels comme la quena (flûte) et le charango (petite guitare andine), accompagne souvent les danses qui reconstituent des scènes de la vie quotidienne ou des événements historiques. Ces manifestations artistiques servent non seulement de divertissement, mais aussi de moyens d'enseignement et de préservation de l'histoire et des valeurs culturelles.
La vie communautaire chez les Quechua est régie par des principes de solidarité et de réciprocité, connus sous le nom d'ayni. Ce système de coopération mutuelle est essentiel dans les travaux agricoles, les constructions et les événements sociaux, garantissant que chacun reçoit l'aide nécessaire en échange de sa propre contribution. Cette interconnexion sociale renforce les liens communautaires et assure une résilience collective face aux défis économiques et environnementaux.
Aujourd'hui, les Quechua continuent de faire face à de nombreux défis, notamment l'urbanisation, la migration et les pressions économiques qui menacent leur mode de vie traditionnel. Cependant, ils montrent une capacité remarquable à s'adapter tout en préservant leurs identités culturelles. De nombreux Quechua sont impliqués dans des mouvements pour la reconnaissance de leurs droits territoriaux et culturels, cherchant à maintenir un équilibre entre modernité et tradition.
Les Quechua sont bien plus que les gardiens de l'héritage inca. Ils sont un peuple vivant, dynamique, dont les traditions anciennes continuent de s'épanouir et de s'adapter aux temps modernes. Leurs contributions culturelles, linguistiques et agricoles enrichissent non seulement les Andes, mais aussi le patrimoine mondial. Les Quechua illustrent la force et la vitalité d'une culture qui a su traverser les âges, portant avec elle les échos d'un passé glorieux et les promesses d'un avenir résilient."
C'est ce que j'ai recherché à illustrer, à révéler par des images, en choisissant d'aller à leur rencontre en quittant les routes goudronnées et suivre des chemins qui nous ont conduits dans des communautés dont certaines vivaient encore en autarcie, comme avant la conquête des "consquitadors" espagnols. Le point de départ était le marché,d'un village ou petite ville, où nous faisions escale, pour nous approcher d'indiens en tenue traditionnelle. Nous obtenions des noms de lieu et des informations sur l'itinéraire pour y accéder ensuite. J'avais toujours gardé les dix pellicules Ilford HP, achetées avant mon départ du Luxembourg, et j'ai chargé mon Nikon pour commencer à photographier cette Amérique du Sud qui nous ouvrait les bras. La manifestation religieuse du "Seigneur des Miracles", comme il est dit dans l'histoire officielle, fut mon premier reportage. Elle a lieu tous les ans dans la capitale, à la date anniversaire : "Le 13 novembre 1655, à 14h45 survint un terrible séisme à Lima et au Callao, effondrant des églises, enterrant des demeures en laissant des milliers de morts et sinistrés. Toutes les parois de la confrérie se sont effondrées, sauf la faible paroi d'adobe sur laquelle se trouvait l'image de Jésus. L'image est restée intacte, sans aucune fissure." .
Cet événement fut une révélation, vu son ampleur, pour prendre conscience, à quel point, la religion catholique avait imprégné la culture, le mysticisme dans ce pays et asphyxié les croyances et les valeurs morales, existentielles, de tout un peuple qui était là depuis des milliers d'années.
J'ai pu faire une pellicule de cette ferveur religieuse de toute une population, en proie à la dévotion du Christ crucifié, avec une série de portraits, durant cette longue procession qui défilait devant moi. Je ne peux en dire plus car mes photos sont plus explicites, je crois. J'avais conclu avec un patron de presse allemand, rencontré à Mexico, de lui envoyer par courrier spécial mes négatifs. Je les ai retrouvés trois ans plus tard, développés avec une planche contacts, pour les publier à Paris.
Entre Huancoyo et Ayacucho, partant d'un petit marché en bord de route, nous sommes montés vers un village, en fête, où des indiens célébraient l'élection d'un nouveau chef. Avec leurs ponchos multicolores, leurs instruments de musique traditionnels et de gros coquillages qui leurs servaient de trompe, j'ai décidé d'utiliser la seule pellicule couleur que j'avais. Leurs portraits sont exposés aujourd'hui dans une galerie gersoise. De nouveau sur le trajet vers Cuzco, nous sommes passés par Chinchero où des cinéastes américains tournaient un film avec Denis Hooper, une star d'Hollywood. Nous nous sommes juste dit bonjour et avons continué notre chemin, sac au dos. Puis les ruines monumentales de Sacsayhuaman et de Machu Pichu nous ont inspirés pour y rester plusieurs jours. Le gardien nous donna un coin de sa cabane pour étaler nos sacs de couchage. Vivre dans ces ruines jour et nuit donnait une autre dimension à la civilisation Inca: une force, une énergie vitale qui était bien présente et facile à assimiler avec toutes ces énormes pierres si soigneusement posées là.
Passée la frontière Pérou-Bolivie, à Desaguadero nous avons abordé en une journée de marche le long d'une piste cahoteuse, reliant les deux pays andins. Le petit village de Tiahuanaco dont le nom est devenu célèbre depuis qu'il s'affiche au sommaire de nombreuses revues spécialisées aussi bien dans l'archéologie que dans la science-fiction.
A plus de 4000 mètres d'altitude, sur une plaine rase et dénudée tantôt brûlée de soleil, tantôt glacée par les ténèbres, où la végétation comme les hommes, a du mal à s'adapter à des conditions de vie aussi rigoureuses, s'éparpillent les ruines d'une cité dont la taille des monuments et les murs d'enceinte encore debout malgré les âges et les pillages successifs, indiquent aux touristes et aux voyageurs, les anciennes splendeurs d'une civilisation aujourd’hui semble-t-il, disparue. Malgré le manque d'hospitalité du village aligné en masures de briques crues sur les bords de la grand-route où quelques camions passent sans ralentir, nous avons décidé d'y trouver refuge, afin de côtoyer de plus près ces pierres dont le mystère émoustille tant d'historiens.
Notre première préoccupation fut la recherche d'un abri pour passer la nuit et nous remettre des fatigues d’une longue journée de marche. Une rapide reconnaissance des lieux nous amena à la «casa paroquial» où généralement, en plus du toit, nous trouvions des interprètes très documentés sur les coutumes de la contrée.
Ces missionnaires d'origine espagnole avaient pris l'habitude de servir d'agence touristique aux égarés de grands chemins, leur accueil fut très chaleureux ; au moins une fois par trimestre, des «aventuriers» venaient frapper à leur porte et demander asile. Pour eux comme pour nous, ce fut l'occasion de vérifier une fois encore que l'aventure et la foi peuvent faire bon ménage. Le gîte et le couvert assurés, nous pouvions tout à loisir errer dans la «puna». Les ruines étaient le lieu de ballade. De la Porte du Soleil à l'Acapana du Castillo, aux énormes blocs de trachyte de Puma Punku à quelques kilomètres de là, aucune découverte fulgurante ne vint éclairer le mystère. Rien ne répondit à l'énigme: quelle sorte d'hommes et de femmes ont dressé ces pierres et pourquoi ? Sur ce site, nous avions ramassé de des petits morceaux de céramique. En rentrant dans notre «paroisse», j' exhibais une partie de notre cueillette au père Jimmy. Pour lui, ces pièces n'avaient pas de grande valeur mais elles permirent d'amorcer une discussion sur les techniques de la poterie chez les Incas et dans les communautés avoisinantes. Ce fut le point de départ d'une nouvelle "expédition» qui allait nous conduire assez loin dans le temps : chez un céramiste de l'ère Tiahuaoacote, celle d'avant la conquête. Dans la cour de la maison paroissiale, un groupe de «campesinos», vêtus de ponchos et de lainages colorés, filaient à la quenouille et attendaient les cours d'éducation religieuse, avant de rejoindre leurs communautés, disséminées dans les environs sur un rayon de 50 kilomètres. Ces catéchumènes nous offraient l'occasion de faire plus ample connaissance avec les autochtones.
Après les cours d'évangélisation, réunis autour de la même table, ils firent parler leur «quena» et dansèrent par petits groupes, martelant le sol à petits pas, au rythme de cet instrument à vent. Les "conteurs• terminèrent la soirée, et, avec l'aide du père Jimmy, des liens d'amitié s'établirent avec le chef d'une petite communauté, située de l'autre côté de la chaîne de montagnes qui entoure le plateau. Il nous invita chez lui. Il regagnait son village le lendemain et nous décidâmes de te suivre. Il vivait en territoire Machaca, dans un coin assez reculé, près des ruines de Huancané pratiquement inexplorées.
Cette communauté, satellite de l'ancienne Tiahuanaco s'étendait sur une vaste contrée, allant des bords du lac Titicaca aux confins des hautes cimes qui marquent la frontière avec le Chili. Tôt le matin, un peu avant l'apparition du jour, alors que les premiers rayons du soleil n'avaient pas encore dissipé le froid nocturne, tout le personnel de la paroisse était sur pied pour attendre au bord de la «nationale» l'arrivée du bus. Nous devions revenir sur nos pas une quarantaine de kilomètres, afin de franchir, au plus près des berges du grand lac, la chaîne de montagnes. Le véhicule lourdement chargé s'enfonçait parfois jusqu'aux essieux dans la boue des ornières de cette mauvaise piste peu entretenue. Les passagers, vêtus de laines multicolores, tissées à la main, assis sur leurs baluchons, s'entassaient jusque sur le toit de la guimbarde, parmi les paniers et les animaux domestiques, tous fortement secoués par les soubresauts du véhicule. Souvent l'engin s'arrêtait pour laisser descendre un petit groupe de passagers à quelques lieues de leur demeure.
En début d'après-midi, après plusieurs heures de route, nous abordâmes Jésus de Machaca, dernier village où s'arrêtent les engins motorisés. Là, notre guide avait dissimulé sa bicyclette derrière les portes de la petite chapelle. Il ne pouvait nous accompagner à pied car on l'attendait à Liki-Liki, sa communauté, pour chanter et réciter des prières . Avant de nous quitter, il nous indiqua le chemin à suivre. Il fallait prendre tout droit le profil des montagnes et, passé le quatrième «rio», tourner sur la gauche, dans le sentier qui menait directement chez lui. Il prit une partie de nos bagages sur sa bicyclette et enfourcha sa monture.
Après un bon casse-croûte de graines de mais et de pommes de terre gelées «chunhos», nous étions prêts, nous aussi, à rejoindre Liki-Liki, distant de quatre «leguas» (une vingtaine de kilomètres). Juste à la sortie du village, un individu qui se signalait par l'importance de son estomac et son habillement de «métis civilisé» nous interpela. Il voulait voir nos passeports car il était "l'autorité» du village et devait contrôler les étrangers. Des consignes spéciales lui avaient été données pour empêcher la fuite par le désert de "guerrilleros" vers le Chili. Il nous fit rentrer dans sa masure ou divers calendriers et la photo sous-verre du président Ovando accrochée au mur, donnaient l'aspect d'un bureau officiel. Sur une table bancale, trainaient quelques imprimés et des tampons couverts de poussière. Avec une attention manifestement incompétente, il tourna les feuillets couverts de visas de nos passeports. Il essaya de placer une remarque perspicace sur le nombre des pays parcourus et finalement releva la tête pour clamer haut et fort le fruit de son examen : «Américains, vous devez payer dix pesos!" Autrement dit, il nous fallait lui verser de l'argent, si nous voulions avoir droit de passage et sortir de ces tristes locaux. Ma réponse ne se fit pas attendre :" pas de pessos, rien. jamais" même s'il nous gardait des semaines sur ses chaises. Devant notre détermination, il baissa la somme de moitié, mais ce marchandage m'incita davantage à ne pas céder. Après quelques palabres et un timide sourire, il nous restitua nos passeports. Nous pouvions enfin entamer notre marche vers Liki-Liki où notre ami devait déjà être en train de chanter les nouvelles prières apprises la veille.
Notre randonnée fut une agréable promenade. La pureté de l'atmosphère et la brillance du ciel rendaient notre marche aisée, presque euphorique, dans ce monde désolé et sans artifices, ouvert à l'espace. Les chinchillas et les viscaches faisaient des apparitions furtives, avant de disparaître derrière les pierres ; au loin des bandes de vigognes dont l'élégante silhouette se découpait sur la ligne dansante de l'horizon, semblaient en suspension dans l'air. Un peu avant la tombée de la nuit, nous avions franchi la quatrième rivière qui alimentait en eau courante toute la communauté où nous devions séjourner.
La famille de notre hôte nous attendait devant la porte de leur modeste demeure et vint nous souhaiter la bienvenue. Il m'est toujours difficile d'évoquer, en quelques phrases, les conditions d'hospitalité en vigueur dans ces pays, pour ceux qui n'ont pas vécu une telle expérience. Les termes à employer ici perdent leur sens ou peuvent paraître démesurés. J'avoue mon incompétence à faire partager mes sentiments et les moments que nous avons passés parmi ces gens dont on rabâche la misère et le dénuement.
Le lendemain, nous avons travaillé sur la «chacra» (le jardin), soigné comme un nouveau né, chaque pied de fève, de pomme de terre et partagé encore et encore tous les moments de ces journées sans horloge, seulement rythmées par la marche de l'astre solaire. Pour nous, pour eux, tout est possible, qu'il s'agisse de déplacer un bloc de pierre de plusieurs tonnes ou de faire cuire des poteries sur un terrain où il n'y a pas d'arbres, que de la rocaille et des croûtes de sel. Le mystère même de leur survie, plutôt que de leur vie, restera toujours une impénétrable énigme pour ceux qui ne comprendront pas qu'il est possible de cultiver son jardin même à 4000 mètres d'altitude et de communier à chaque moment avec la "Pachamama», notre mère, la terre, l'univers, pour qu'elle nous donne son énergie.
Parmi les chaumières avoisinantes, nos hôtes nous signalèrent l'atelier du potier , monsieur Choqué. Il travaillait selon des techniques transmises de père en fils, et reproduisait avec une étonnante fidélité, les objets en terre cuite retrouvés lors de fouilles archéologiques, sur le site de Tiahuanaco. Aussi, puisque les originaux ont les honneurs des musées, les «copies» de Choqué sont pour les marchands peu scrupuleux, tout à fait dignes d'un commerce international. Cette mine de dollars fut découverte il y a quelques années par un touriste des États-Unis et depuis, E. Choqué alimentait cette contrebande.Mais c'est le procédé de fabrication de la poterie inca qui m'intéressait avant tout. Un tour rudimentaire, mais efficace, composé d'une lourde pierre plate, percée en son entre, était le principal outil de notre potier. C'est là que la terre ramassée dans les environs prenait la forme si particulière des poteries de Tiahuanaco. Le travail de préparation de cette terre était des plus simples, l'important étant son élasticité.
La première singularité de son travail tenait en la préparation des couleurs et du décor. Les outils employés demeuraient typiquement Aymaras. D'abord, un espèce de pilon, constitué par un gros bloc de granit,arrondi sur les angles, posé sur socle creux d'une autre pierre plate, lui permettait de broyer des morceaux de minerai brut. Ce lourd pilon s'actionnait sans efforts d'une seule main. Réduites en poudre, "ces pierres de couleur", trouvées dans les montagnes, lui servaient à colorer ses pots. Malgré mes questions pour en connaître le nom exact, j'ai dû me satisfaire de la dénomination portée sur chacune en fonction de leur aspect. Il disposait de cinq poudres différentes : blanc, noir, marron, orange, jaune ; lorsque la pièce tournée était sèche, il humectait légèrement la surface extérieure pour la polir soigneusement avec un galet très lisse. Ensuite, il procédait à la décoration des motifs qu'il gravait en bas-relief avec un morceau de bois.
L'inspiration de ses dessins venait de sculptures qui couvraient, sur toutes leurs faces des monolithes de 5 à 6 mètres de long, épars sur le tumulus de Huancané à quelques kilomètres de là. Il trouvait dans ces reliefs, datant des anciens habitants de Tiahuanaco, le style des motifs, condors, serpents et autres personnages fabuleux de l'Altiplano, dont il ornait ses pots. Les surfaces étaient ensuite peintes avec les poudres qu'il diluait dans l'eau avant de les passer au four. Le procédé de cuisson est particulièrement original et judicieux sur cette terre où le bois, rarissime, ne permet pas d'alimenter un grand foyer. C'est avec des bouses de ruminants que le feu est amorcé. Il est ensuite entretenu avec des excréments de lama et de mouton que l'apprenti, jette dans les flammes, pendant cinq heures, à une cadence régulière. L'art de cette cuisson consiste à doser intuitivement la poignée d'excréments qui permettra progressivement de porter à 750 degrés environ, la température du four, moitié enfoui sous terre pour mieux garder la chaleur. Ce travail terminé les pièces sont prêtes. Elles attendent, sur des étagères ou à quelques centimètres sous terre, pour être patinées et vieillies, l'arrivée de l'«américano» qui viendra chercher sa marchandise. Elles sonneront comme du cristal lorsqu'on les fera tinter d'une chiquenaude, comme des originaux authentiques ; un peu moins clair toutefois si on les enterre. Mais même s'il est devenu, «grâce à» notre civilisation, fournisseur de poteries pré incaique pour des collectionneurs occidentaux, monsieur Choqué reste le potier de LikiLiki et de ses habitants, qui chaque jour, mangent leur soupe de pommes de terre dans ses bols et assiettes. Malgré nous, le même récipient de terre cuite sert de trait d'union, entre les bâtisseurs de cette grande cité ancestrale et mystérieuse, et les Indiens Aymaras de l'Altiplano andin d'aujourd'hui.
De retour à la "civilisation", nous avons fait halte à La Paz, la capitale.