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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 15:55

P1100343-copie-1photo Nicky Hebrard.

Je l’avais rencontré dans le désert de Uyuni à la frontière Bolivie Chili, juste après la mort de Che Guevara. Il était « sur la route » depuis plusieurs années et avait fait un périple hors du commun. A l’âge de quinze ans, il quittait le domicile familial pour faire le tour de l’Angleterre en auto-stop, avec cent francs en poche, pour apprendre à parler l’anglais disait-il. Cet apprentissage, en plus de  la découverte au quotidien de nouvelles combines pour aller toujours un peu plus loin, et l’habitude de dormir à la dure roulé dans une couverture, l’avait éveillé à l’exercice pratique de la liberté : allez n’importe où, quand on le voulait, comme on le pouvait.

Ensuite il avait sillonné l’Europe du sud au nord, des festivals de jazz de Juan les Pins à Comblin la Tour, ami des routiers, des tziganes, de tous ces individus qui vivent sur le macadam ; sur le trottoir des villes traversées, il faisait des dessins à la craie ou écrivait des poèmes de Prévert ou Rimbaud, pour faire la manche, parfois  grattant  la guitare à la terrasse des cafés, parfois sur les parkings ou il lavait les pares brises des voitures pour un franc. C’était suffisant pour acheter pain vin fromage. En Espagne, il se déplaçait dans les trains de marchandise ou il rencontrait des apprentis toréadors « les maletillias » qui portaient eux aussi un baluchon.

C’était en 1966, et ce mode de vie adopté par une centaine de jeunes garçons en France avait un modèle, Jack Kérouac, et une bible « Sur la Route » que tous avaient lue. Il fallait être toujours en mouvement, à la recherche de nouvelles émotions, de découverte. La drogue n’avait pas encore fait son entrée dans l’hexagone et le litron de vin était bon et pas cher. Comme disait Coluche, qui lui aussi était beatnik à cette époque, « le pinard ça devrait être obligatoire ». Car ce n’était pas toujours facile de dormir dans des chantiers sous la pluie ou dans le froid, parfois pire dans des commissariats en garde à vue, soupçonnés de graves délits.

Ce fut à Barcelone dans le quartier du barrio chino qu’il entendit pour la première  fois le mot « hippie » dans la bouche d’un jeune américain vêtu d’une chemise à fleur ; il cherchait de la marijuana pour faire la fête avec cette nouvelle génération de révoltés outre atlantique. Eux, ils avaient de l’argent et pouvaient se payer des fantaisies.

Dans ce désert à 4000 mètres d’altitude ou la nuit il gèle à pierre fendre, il marchait depuis plusieurs jours avec la ferme conviction de boucler son parcours de l’Amérique, du nord au sud, avant de traverser l’océan Pacifique. Il nous raconta comment il était arrivé au Canada en 1968 avec deux cents dollars en poche qu’il avait aussitôt transformé  en faux traveller chèque pour pouvoir passer les frontières en montrant aux douaniers qu’il n’était pas sans ressources, que malgré son apparence et son unique pantalon rapetassé, il faisait du tourisme.

Son passeport était rempli de visa et de tampons car il arpentait depuis trois ans  le sol américain. Il avait traversé les USA, le Mexique, l’Amérique centrale, la Colombie, l’Equateur, le Pérou, le Venezuela, le Brésil et maintenant la Bolivie. Il pouvait marcher entre 20 et 30 kilomètres du lever au coucher du soleil selon les rencontres. Tout ce qu’il possédait était dans son sac à dos d’une vingtaine de kilos. Il refusait souvent des « cadeaux » par souci du poids et gardait l’essentiel.

Avant de s’endormir sur ce sol gelé, il raconta quelques unes de ses aventures : déménageur au Texas, interprète tri lingue dans les ruines Mayas au Mexique, pêcheur de langouste au Honduras, chercheur d’or dans  la jungle péruvienne, révolutionnaire au Chili avant l’élection d’Allende ; mais ces  épisodes n’étaient que des repères sur un parcours mouvementé ou chaque journée était une nouvelle conquête, vécue au jour le jour, selon les circonstances du moment pour faire en sorte que la route ne s’arrête pas là.

Il disait, la vie ce n’est pas grand-chose mais le pire c’est d’avoir peur de la mort ; la majorité des êtres humains veulent oublier cette tragédie et préfèrent s’abrutir par un travail quotidien toujours le même ou  une croyance   dans une religion qui promet un au-delà. Le mieux était de sentir le sang battre dans ses veines, et de se voir « battu », rejeté par une société dite moderne ou il faut avoir un foyer, un domicile fixe, une famille, une nationalité pour exister dignement  quelque part.

Etre beatnik c’est toujours reprendre la route, peu importe vers ou. Que l’on soit dans un palace ou sous un pont, dans les bras de l’amour ou de la haine, faut repartir. Il disait, je crois que l’on naît beatnik comme d’autres musiciens, poètes ou homosexuel ; cela ne s’apprend pas, chacun fait sa route, mais se rendre  compte que le besoin de liberté sans vouloir rien posséder peut exister à divers degré et peut être vécu partout sur cette terre donne un sens à la vie que beaucoup ignorent.

Cette forme d’humanisme a disparu aujourd’hui car même les migrants cherchent à fonder un foyer ou avoir du travail. Cette apparition d’un beatnik au festival de Cannes réveillera-t-elle quelques nouveaux libertaires universel endormis, on peut l’espérer. En tout cas, si c’est un vrai, il ne se prendra pas les pieds dans le tapis rouge.            

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commentaires

V
"beatnik"... Le mot seul fait rêver...!! Peut on l être seulement ds sa tête ...plus que par les kms dévorés ?!<br /> PS: Porte toi bien ...!!
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G
S'il n'y a pas de "tête" il n'y a plus de pieds. En marchant on rentre de plus en plus dans sa tête

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  • : photographe de presse fut mon premier métier ; avec l'argentique les photos n'étaient pas retouchées. Elles étaient imprimées en noir et blanc comme à la prise de vue, c'était de vrais documents. Aujourd'hui avec le numérique toutes les photos sont retouchées
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