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14 janvier 2024 7 14 /01 /janvier /2024 09:14

Comme promis je suis revenu voir les gendarmes qui m'ont accompagné à pied jusqu'à  la gare d'Agen. Notre arrivée a fait sensation dans le hall: un malfaiteur sous escorte ne passe pas inaperçu. Deux d'entre eux sont montés dans le train avec moi. On se connaissait du temps où j'étais journaliste et ils ne comprenaient pas pourquoi j'avais abandonné mon métier, ma famille, mon pays pour aller vivre chez les Indiens d'Amériques.

Je leur racontais comment on avait traversé les Andes, les déserts , les jungles et que j'allais y repartir. Au prochain arrêt du train je m'évade. Vous ne me rattraperez pas. Je leur ai dit qu'il valait mieux me mettre les menottes, ils ne voulaient pas. A force d'insister ils se sont finalement exécutés et c'est dans cette état, avec les bracelets, que nous avons traversé la gare de Bordeaux.

Un fourgon nous attendait sur le parking avec un motard de la gendarmerie. Ils m'ont invité à y monter à l’arrière, repris leurs menottes, fermé la porte grillagée et nous sommes partis. Bientôt la ville a disparu et cet fût la forêt de pin avec son odeur particulière qui m'indiqua que nous étions dans les Landes.

Presque une heure de trajet. Le fourgon s'arrête, la porte s'ouvre, je descend. Devant moi un grand portail Camp de Souge.

Une photo d'archive; le portail a changé et la cloture en  fils barbelés. Plus d'arbres mais les bâtiments étaient bien là

Une photo d'archive; le portail a changé et la cloture en fils barbelés. Plus d'arbres mais les bâtiments étaient bien là

Un militaire sorti du camp me prend par le bras et me fait rentrer en disant aux gendarmes " on vous le rendra dans un an et demi". C'était le régime pour les insoumis, l'armée dans un bataillon disciplinaire puis la prison, deux ans au civil. Cette simple phrase m'a permis de comprendre que j'entrais en résistance.

Cette entrée aussi remarquable à Souges n'est pas passée inaperçu. Tous les militaires présents dans la cour, plusieurs centaines par petits groupes en exercice dont certains rampaient au sol, d'autres en défilé au pas chantant " nous sommes les descendants des régiments d'Afrique, ont marqué un temps d'arrêt pour la nouvelle recrue.

Le gradé m'a confié à un autre qui m'a conduit dans un petit dortoir avec six lits doubles métalliques superposés. Je suis resté là assis jusqu'à ce quelqu'un en treillis m’amène au réfectoire; ils étaient tous là dans un beau chahut et mon entrée a suscité un bref silence.

Je me suis assis en bout d'une table vide et j'ai attendu; au bout d'un moment quelqu'un m'a dit d'aller manger. Je n'ai pas réagi. Pour eux le repas était terminé, pour moi il m'avait pas commencé. Ils sont tous sortis et on m'a prié d'aller dehors. Je me suis accroupi là comme j'avais l'habitude de le faire quand il pleut chez les Aymaras avec le poncho sur la tête pour attendre que le mauvais temps passe.

Un militaire est apparu en criant "qu'est ce que tu fous là?". Je n'ai pas répondu; il en a appelé un autre qui m'a conduit chez le coiffeur. Puis on m'a donné un pantalon chemise pull et ordonné de me mettre en tenue. Je crois que c'est la seule fois où j'ai obéi. J'ai eu du mal à retrouver la chambrée après plusieurs stations accroupis n'importe où et toujours prié d'aller ailleurs sans me dire à quel endroit exactement.

La nuit est arrivée; j'ai vu la chambrée se remplir et ils m'ont posé beaucoup de questions. Je n'ai répondu à personne et quand ils ont été tous couchés, je me suis accroupi dans un coin en attendant le jour se lever. Ils sont partis au petit déjeuner et me suis allongé sur un matelas .

Plus tard quelqu'un est entré dans la chambrée en hurlant "qu'est-ce que tu fous là". Il a empoigné violemment  le bord du lit pour me faire tomber mais un morceau de fer lui a arraché la peau. Il est reparti en saignant et jurant. Je n'ai pas bougé. J'avais entendu que mes compagnons de chambrée ne voulait plus dormir là et s'étaient plaint au gradé que j'étais fou. Je sentais qu'il allait se passer quelque chose.

Finalement dans le courant de la matinée quelqu'un est venu me voir et m'a demandé gentiment de l'accompagner: " le commandant veut te voir". Je l'ai suivi jusqu'au bureau du chef. Dés l'entrée j'ai été surpris par sa courtoisie: " asseyez vous monsieur s'il vous plait". Ce que j'ai fait en face de lui.

Il a commencé par me dire qu'il était au courant du périple et des longues marches que j'avais fait en Amérique. Il savait que j'étais photographe de presse avant mon départ et m'a carrément avoué que l'armée avait besoin de personnes comme moi. Il m'a proposé d'entrée aux Services Cinématographiques des Armées. Je savais ce que cela impliquait pour la promotion de ma carrière professionnelle. J'hésitais à répondre.

Puis il m'a dit "pour cela vous devait d'abord faire vos classes de militaire pour rentrer dans l'armée". Je n'ai pas répondu. Un long silence a suivi. Il a pris son téléphone et m'a demandé de sortir.

Quelques instants plus tard une ambulance avec la croix rouge m'attendait pour me conduire à l'Hôpital militaire de Robert Piquet. Sans rien exprimer, je ressortais du camp disciplinaire ni voir personne pour faire des adieux "aux copains".

 

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  • : photographe de presse fut mon premier métier ; avec l'argentique les photos n'étaient pas retouchées. Elles étaient imprimées en noir et blanc comme à la prise de vue, c'était de vrais documents. Aujourd'hui avec le numérique toutes les photos sont retouchées
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