J'avais cette fois besoin d'argent pour acheter ce qu'il fallait à notre futur nouveau né. Ce n'était plus possible d'attendre au bord de la route un transport pour aller en ville chercher un travail qui permettrait de subvenir à nos besoins en forêt; il fallait d'abord payer l'autobus pour aller et revenir. Une centaine de kilomètres.
Malgré ma réticence a être de nouveau photographe de presse, mon ancien métier, je me suis décidé un matin à rencontrer le rédacteur en chef du plus grand quotidien brésilien. J'avais mis mon pantalon blanc, ma chemise bleue pour aller à la réception au premier étage de cet énorme bâtiment grouillant de monde et d'activité fébrile.
La secrétaire a écouté mon discours avec attention car je me suis présenté comme un journaliste français à la recherche d'un emploi: j'allais être père d'un petit brésilien et je devais trouver rapidement une activité rémunérée. Le patron m'a reçu dans son bureau avec le "cafézinho" et écouté mon histoire avec attention.
Mon expérience professionnelle l'a surtout intéressée pour ce qu'elle concernait le photo journalisme: comment un quotidien de province française passé de la typographie à l'offset a pu augmenter en quelques mois son tirage. Mes photos des actualités locales ont contribué à cette réussite ; je lui ai aussi parlé de mon emploi au nouvel hebdomadaire à Belize, The Reporter, qui a su trouver rapidement ses lecteurs anglophones. Malgré tout cela il n'avait pas pour l'instant un poste pour moi dans son journal. Par contre il m’appellerait au cas ou quelque chose se présentait.
Je descendais vers la sortie ces mêmes escaliers que j'avais gravi une heure plus tôt plein d'espérance quand quelqu'un me tape dans le dos et m'interpelle:"oh, francés, le chef de rédaction du service des sports veut te voir, urgent. Suis moi". Il me fait rentrer dans son bureau. Après les salutations d'usage, en toute hâte, le journaliste me tend un télex de quelques lignes titré urgent.
Je lis. Il s'agit d'un accident de la circulation survenu au grand champion Emerson Fitipaldi, héros national, à la périphérie de Lyon. Il m'explique que cette dépêche va faire la premiére page demain et veut des informations sur les circonstances de ce fait divers. Je ne sais pas trop quoi dire pour faire un article et d'un coup me dit: " bon t'es photographe. Tu vas accompagner le rédacteur chez les Emerson et tu me fais de bonnes photos" .
Et nous. voilà parti avec la voiture et le chauffeur de O Estado de Sao Paulo. Arrivés sur place dans la périphérie des beaux quartiers de la capitale, toute la presse écrite et parlée, les télés sont là compactes autour de la maison de famille de la célébrité pauliste. On se fraye un chemin jusqu'à l'intérieur du domicile et je fais quelques photos de la mère du champion au téléphone. Rien d'extraordinaire.
Ensuite le père d'Emerson demande au journaliste du Estadao de l'accompagner jusqu'au sous sol, la salle des trophées et diverses coupes gagnés par son fils. Je les suis dans cette antre; il y a aussi des reproductions de photos notamment une d'un accident à Indianapolis où la formule Indy de Fitipaldi passe au dessus d'un autre véhicule. C'est une illustration d'un accident et j’attends le moment pour faire ma photo.
Il y a très peu de lumière mais voilà que monsieur Emerson se place devant l'abats jour avec une main sur le visage. Je règle vitesse et diaphragme au mieux . J'ai ma photo.
On rentre au journal, je laisse la pellicule au responsable du service des sports et je rentre Rua Bela Cintra à mon domicile en ville. Le lendemain je reviens au journal et dés l'entrée je reçois des félicitations du personnel présent. Ma photo a fait la premiére page du Estado. Je suis devenu le photographe français du plus grand quotidien brésilien.
J'ai plusieurs propositions pour partir en reportage mais ce qui m'intéresse surtout c'est d'être payé maintenant; le service comptabilité me donne mes premiers billets en cruzeiros et un peu plus tard je suis à la gare routière pour revenir au Alto da Serra.